Mes premiers souvenirs esthétiques...Tu vas loin là...
Je suis issu d'un milieu populaire donc mes premiers souvenirs sont pas Kandinsky ou Basquiat mais plutôt les photos des grèves de 1936 ou la décoration polonaise et espagnole...
Petit fils d'immigrés dans une ville qui s'est éteint: Denain(ville la plus pauvre de France avec Roubaix en 2010). Mon esthétique à moi vient donc de cette culture populaire: les manifs et les drapeaux, les mines et la sidérurgie.
Je pense que par la suite ça va compter beaucoup dans ma rencontre avec le graffiti, son aspect contestataire m'a intéressé tout de suite, et mon travail est encore aujourd'hui principalement social.
Spectateur:
En 1991 j'arrive au collège Bayard à Denain, je viens du village juste à coté et je trouve l'ambiance assez ghetto à l'époque. Quand je rentre dans les toilettes je ne comprends pas ce qui se passe, ambiance double page de Azyle dans "Descente Interdite", sauf que c'était les noms du quartier, quelques NTM 93 et autres insultes...
La même année je vais visiter Paris et l'image des persiennes taguées de haut en bas, saturées, laisse un souvenir presque imprimé en moi.
Il y avait aussi dans mon village un lettrage « Naughty by Nature » avec une batte de base-ball, une bonne pièce en un trait.
Acteur:
Mon pote d'enfance et moi nous n’étions pas au même collège, nos mères décident donc de nous inscrire à l'école d'arts plastiques de Denain, on ne fait pas trop de dessin mais plutôt de l'expression artistique...Milieu d'année mon pote et moi on trouve des bombes dans l'armoire à matériel (ref.Marubu Buntlack Fluo), on demande aux autres si on peut customiser leurs blouses, mais ça finira chez la directrice après une dénonciation en bonne et du forme d'un des élève...Puis virés de l'école...
A la même époque, une nuit j'étais en train d'aider mon père et ses potes pour un collage d'affiche, j'ai trouvé une bombe jaune dans le camion et je l'ai prise. J’ai répété ce que j'avais vu au collège en faisant un tag et un throw up NTM 93, et un rasta avec un joint ;)
Je trouvais ça très beau toute cette saturation, ces tags sales, ces slogans sur les murs, ça ressemblait à un cri, ça me parlait...
A l'époque des restos du cœur, du FN et du chômage, cette couleur dans la ville grise commence vraiment à m'intéresser.
Disons que j'ai vraiment commencé à prendre ça au sérieux en 1992/1993: je commence à arracher les affiches et les autocollants du FN, à taguer des noms improbables, et à créer ALP crew (Anti Le Pen).
J'avançais vers Valenciennes tout doucement. C’est le tag qui m'intéressait. A l'époque où on se cherche ça permet d'être face à soi même et aux autres, c'est un défi permanent pour exister et faire voir que l'on existe.
Etre face à la surface et à la ville, l'assiduité, la qualité, la rapidité, la quantité....
Du coup, agir seul paraissait évident, mais c'est aussi parce qu'il y avait personne pour faire des connections mis à part les tagueurs/skateurs de Valenciennes avec qui je n’étais pas très en lien...Il n'y avait pas de graffiti à l'époque, juste des tags et throw up.
L'équipe ALP est arrivée en 1995/1996, avant d'être un crew on est avant tout des potes engagés dans un but précis: passer un message. Là on sortait bien plus en équipe, les premiers graffiti valenciennois sur les rails sont apparus...
Puis je suis arrivé à Lille en 1998/1999, quelques connections par-ci par-là pour graffer mais pour le tag(mis à part le métro avec Nègre ALP 12 IB) j'ai toujours continué seul, par habitude surement mais surtout discrétion.
Cette sensation de liberté, seul face à la ville, me manque beaucoup depuis mon interpellation en 2001 et mon « obligatoire » retraite anticipée.
Pour le graffiti ce n’est pas la même vibe, être solitaire n'est pas forcement bon pour évoluer, je connais la plupart des gens ici, quand je ressens des bonnes vibes ou que l'occasion se présente je peins volontiers avec quelqu'un, et du coup j'ai fait pas mal de connections ici à Lille ou ailleurs ces dernières années, et je continue dans ce sens. Je n’ai pas de soucis particulier avec quelqu'un, tu me respectes je te respecte, c'est très simple avec moi.
J'essaye maintenant de voir les choses de façon globale, de rassembler, de faire du graffiti pour les gens des quartiers, pour moi, pour que le mouvement graffiti aille vers le haut en oubliant ses querelles internes...Rassembler, mais quand tu vois comment ça se passe dans le mouvement c'est pas étonnant que parfois je ressente le besoin de peindre tout seul.
La symétrie est arrivée par hasard vers 1995/1996 (début des ALP en tant que crew).
Après quelques années a faire que du tag et quelques throw-ups, qui me prenaient déjà beaucoup de temps, j'ai commencé les lettrages...Mais là: problème, ça me semblait trop difficile, j'étais dans le tag et je n’arrivais pas à m'en détacher. J'ai donc commencé à faire des blocks letters, qui ont peu a peu évolué en lettrage/logo symétriques.
Ca me plaisait bien la symétrie: facilité, clarté, et avec un bon impact visuel comme ça se rapprochait un peu des logos.
Après les soucis judiciaires elle m'a permis de travailler sur d'autres choses et de faire évoluer mon travail. J'ai donc travaillé sur les choses qui me touchaient: l'art populaire et primitif. Sont arrivés mes masques, mes oiseaux....
Je me suis totalement détaché des lettres pendant plusieurs années et ce n'est que depuis peu que je les réutilise dans ma peinture(en arabe notamment)
Comme je te disais plus haut, la culture que j'ai acquis est populaire et je n'ai jamais réellement acquis de connaissances artistiques, et techniquement encore moins.
La symétrie ça a été la résolution d'un problème(les lettres), ça m'a donné un univers et finalement j'ai évolué dans une démarche personnelle.
C'est les galères et l'expérience que j'ai acquis qui m'ont amené à la symétrie, c'est donc plus empirique que culturel pour répondre à ta question.
Il y avait toute une démarche de voler ce qui allait servir a détruire les murs: du cap Décap'four (Carrefour/Denain), à la bombe de bricolage Bricomarché/Le Quesnoy) mais surtout le gros Conté biseauté(Le Furet /Valenciennes)
Ne pas avoir les couleurs, devoir faire avec ce qu'on a, bloquait techniquement parfois, mais ça obligeait à se défoncer pour obtenir un bon graffiti et pour le tag quel bonheur: niveau esthétique une Autolack métallisée(La Foire Fouille/Valenciennes) reste au top...
J'ai appris à travailler avec pas mal de techniques différentes lors de mes projets à l'étranger, et c'est vrai que les bombes à l'ancienne et un cap d'origine permettent de retrouver des bonnes sensations, moins lisses, moins contrôlables, et les effets sont fantastiques.
Je ne peux pas dire que les bombes "nouvelle génération" vont tuer le graffiti, elles le font évoluer vers quelque chose de plus lisse, de plus adapté à la société. Les couleurs sont plus consensuelles et les tags bien propres.
Ce n’est pas les bombes qui vont tuer le graffiti mais ceux qui le font et la manière dont ils s'y prennent. Nous sommes dans une "Société du spectacle" ou l'arme est plus internet que la peinture , c'est un clavier qu'il faut plutôt qu'un cap...
Un peu des trois je crois...
J'ai fait la majorité de mes tags le jour, je trouvais ça plus simple, plus excitant et je voyais les choses arriver.
A la grande époque de mes virées à Valenciennes (1994/1999) puis à Lille (1998/2001), j'arpentais la ville dans tous les sens et par tous les moyens (à pied, à vélo, en métro, en train...) et avec toutes les techniques (gravure, tag, throw up...).
Je me suis donc retrouvé pas mal de fois dans des endroits improbables: par discrétion d'abord, puis par curiosité. J’ai découvert aussi comment s'ouvrir au monde grâce à ces excursions, de Denain pour finir à Ramallah avec un petit détour par Beyrouth.
-Spur & Spy/ NDL crew/Cap d'origine fin/Jaune moutarde. (Valenciennes/Début 90's)
-Jackson/Fat Cap/Bleu nuit. (Paris/Fin 90's)
-Tout ce que j'ai vu dans Intox magazine m'a fasciné: Stone, 93 Mc's...Merci à Karim pour "Descente interdite" dans lequel je retrouve le même plaisir. (Paris/Milieu 90's)
Les directions dans lesquelles je voudrais aller sont multiples:
-Dessiner au maximum pour ensuite pouvoir continuer a reporter ça sur les murs et faire sourire les quartiers populaires: "L'art est dans la rue...L'art aidant la rue".
-Continuer à travailler avec d'autres artistes et faire des connexions, comme c'est le cas actuellement avec le livre "Arabic Graffiti"(http://www.fromheretofame.com/books/arabic.html) pour lequel on essaye de faire des actions (expositions, workshops…) en commun.
-Suivre les directions que je me suis fixé pour la partie socioculturelle de mon travail: l'accès à l'art pour tous. Les projets sont nombreux (ateliers d’art mural en France, dans les camps de réfugiés palestiniens au Liban et en Jordanie, au Maroc...), continuent à m’épanouir et me prendre une grande majorité de mon temps.
-Me concentrer sur mon travail en atelier me prend beaucoup de temps et me plait beaucoup, je fais beaucoup de recherche et de peinture, j’essaye d’aller plus loin que du simple graffiti sur toile. Et j’espère pouvoir mettre en place, en 2012 à Lille, ma première exposition personnelle pour mes 20 ans de graffiti.
I follow the wind...Le vent du Nord...
http://www.flickr.com/photos/
Une légende ce Mr Cana.
RépondreSupprimerBeaucoup de respect pour lui.
Je me souviens l'époque 97' 98', mes premiers pas dans le graffiti, il avait déjà allumé tout Valenciennes et ses environs. Dur de rattraper un mec comme lui, pas une rue était épargné!
Vécu sur Roubaix par la suite, je me suis rendu compte que Valenciennes c'était juste de la rigolade ...
Bonne route à toi Mr Cana ;)
bonne interview, et bon parcours que celui de Mr Cana...ouvrir sa pratique, ses horizons, sans oublier sa région et le tag, le tag, le tag.
RépondreSupprimerUn exemple pour le graffiti Lillois.
RépondreSupprimerBeaucoup de tags de qualitée, des terrains remplis d'originalitée, de créativitée.
Respêct.
Son dégomage a la rayure de la rue de bethune restera gravé dans ma mémoire.
RépondreSupprimermes respects Monsieur.
RépondreSupprimerça change de cette mentalité de merde des jeunes actuels.