On voit de plus en plus de mecs poster des vidéos ou des photos de leurs voyages aux 4 coins du globe, dans les bidonvilles indiens, les déserts mongols, etc. quand des mecs comme toi, ou moi, restent hyper-attachés à leur ville. Qu'est-ce que t'en penses?
En fait, j’suis particulièrement attaché à Montreuil car j’y ai passé une grande partie de ma vie, j'y travaille, j’y ai ma famille, mes potes, mes terrains et mon atelier que je partage avec SOKLAK. Même si je n’y habite plus, famille agrandie oblige, j'y suis tous les jours.
C’est la ville où j'ai fait mes premiers tags, puis mes premiers graffs. C'est là que j'ai fait mes classes que ça soit au niveau terrains ou au niveau RATP. C'est de là que je partais pour Paname pour taper de la peinture, des tags ou de la bouffe. Déjà dans les 90’s c’était "chez nous!", on restait des heures sur le quai de la Croix d'Chav’ à faire des sauts de rails sur les trains en partance pour Paris, c’était notre point de rendez-vous. On a aussi une multitude de spots pour peindre(au début des 00's on comptait quand même une quinzaine de terrain de bonne taille)
Les keufs n’était pas trop au taquet et avec un peu de tchatche tu t’en sortais toujours. On avait tous les avantages de Paris sans les inconvénients(les parisiens, la foule, les flics...) A cette époque j’pouvais rester un mois facile sans dépasser la Porte de Montreuil...
Desservie par trois stations de trom’, le RER à 5 min, une tolérance pour la peinture et un truc qui me plaisait mais que l’on trouve de moins en moins: c'est la mixité ethnique et sociale. Ça a tendance à s'embourgeoiser et dernièrement l’arrivée de Voynet à la mairie n’a fait qu'accentuer le truc avec son trip écolo qui plait beaucoup au bobos. J’adore Montreuil mais ça n’empêche que je kiffe bouger en banlieue, en province ou à l’étranger...Justement j’apprécie encore plus quand je vais dans de nouveaux endroits. Et ça serait difficile de renier cet attachement tellement c'est ancré dans mon ADN de writer.
Ta ville influe-t’elle sur ton graffiti? Formes, couleurs, références de styles...
Le lieu ou tu vis va forcement avoir une influence sur ta peinture, si tu vis en province dans un endroit où il n'y a pas de spots légaux forcément tu te tourneras vers le vandal, les rails, autoroutes, et au contraire si ta ville est sous caméras et qu'il y a pleins de terrains ça sera plus du légal...Mais i’a pas vraiment de règle c'est juste logique. On s'adapte. En général j'aime bien voir/revoir mes peintures alors j'ai plus tendance à peindre/tagguer là où je passe et repasse. Le fait d'habiter près des rails m’aurait sûrement fait faire plus de roulant...
J’habite à présent sur le RER et depuis je me suis remis à faire quelques graffs sur les rails. La multitude de terrains vagues à Montreuil m'a aussi donné la possibilité d'y peindre beaucoup, autant que l’envie de faire le périph’ ou poser dans le métro. Et que les peintures ne soient pas nettoyées m'a fait peindre dans la rue, et j'ai arrêté quand ils ont commencé leur politique de nettoyage systématique.
On a un proverbe pour ça: "Tu peux enlever le narvalo de Montreuil, tu n'enlèveras pas Montreuil du narvalo".
Tu "fêtes" tes 25 ans de peinture, avec 2 blazes principaux, "EKSTAZ" et "VISION". Ces 2 noms, leurs significations, c'est un bon résumé de ta carrière non?
J'ai eu une multitude de noms avant de m'arrêter sur VISION. Vers fin 85 j’ai commencé avant même de savoir que c’était du tag à faire une sorte de "S" façon logo "Cigares du pharaon de Tintin" avec des flèches aux extrémités que je marquais partout dans mon collège. Puis "SIR STEPH B" puis fin 86 j'ai posé SIR ONE, là j'ai commencé à comprendre le trip graffiti: tags, groupes, sortir tagguer et faire mes premiers graffs avec ESKISS qui posait SAD ou ARTHUR à l’époque. C’ est en plein pendant ma période métro que s'est fait la transition SIR ONE/EXTAZ. A cette époque je me suis aperçu qu'il y avait un autre SIR qui tagguait pas mal sur Paname. J'ai préféré changer pour EXTAZ. EXTAZ c’était HOKE qui l'avait trouvé et qui l’avait posé quelques fois. J’lui ai demandé si j’pouvais le récup'. Il était ok, direct c’était parti, ce qui me plaisait c’était toutes les façons différentes de l’écrire(une dizaine) Avec ce blaze je suis devenu, à force d'efforts et de matinées passées à faire des allers/retours Croix de Chavaux/Mairie de Montreuil et traîner sur la ligne, le King de la 9, j'avais des tags dans toutes les premières classes et dans la plupart des autres wagons, et pas mal d'extérieurs. A cette période je trainais principalement avec les TKV(SCREEN, ZROPE, IRES, DEZISM, KONE, REST, etc.)
Ensuite j’ai posé: H.DON, MOON, BODE, THINK, FEVER, HEART...au gré des terrains et des plans vandales. Ça me plait de changer de lettres...Et en 1993 j'ai eu un accident, immobilisé 3 mois, les deux jambes dans le plâtre, j'ai beaucoup dessiné(ce que je fais rarement) et je suis tombé sur une photo d un graff "VISION" qu'on avait fait tout au début, j'ai donc dessiné une cinquantaine de sketchs VISION et quand j'ai pu remarcher je les ai fait sur murs. J’en ai aussi fait plein en chrome et vandal avec REST et PSEYE.
***En parlant d’eux...une des plus belles photos que j’ai vue récemment se trouve sur ton site. Un mur avec 3 couches superposées, un palimpseste pour parler correctement français, où l’on voit le mur d’origine, puis un mur avec un bout de fond de graff et une série de tags «MEDA, PSEYE, REST, DAISY, SOS» blanc sur petit encadré violet, et enfin la couche qui a recouvert le tout mais qui se décompose...Quelles sont les plus belles images qui te viennent à l’esprit?
Les plus belles images de graffiti que j'ai en tête c'est quand la nature se mêle au support. Par exemple je suis tombé il y a quelque temps sur un VISION vieux de 8 ans, un petit arbre avait poussé dans le mur. C’était superbe et inattendu, j’aime les vieux graffs sur lesquels il y a une marque du temps...les fret qui roulent longtemps avec la peinture craquelante cuite par le soleil.
Et tellement d' autres choses hors graffiti!***
Tu as beaucoup, beaucoup, beaucoup peint, en terrains(légaux ou non) quasi-uniquement, depuis quelques années. Sans vraiment changer de direction dans le style, ce qui est appréciable, mais aussi dommageable, à mon sens. Qu'est-ce qui t'as motivé et te motive encore?
Ce qui m’a attiré en premier dans le graffiti c’est le côté coloré qui s’opposait à la grisaille urbaine. Mon premier souvenir de graff, j’parle pas de tag, c'est un dégradé orange-jaune avec des grosses lights, bubble et des contours noirs. Puis Stalingrad et après Spraycan Art et Subway Art ont été mes références. C'est le graffiti NY 80's qui m’a fait kiffé, évidement j’aime beaucoup d'autres styles et écoles mais c’est dans celle-là que j’me retrouve le plus. Je pourrais changer et coller à l’air du temps mais c’est pas moi. Je n'ai aucune prétention dans le graffiti d'essayer de révolutionner le truc ou d'être le meilleur. J’ai pas non plus envie de faire comme un mec dont les pièces m’ont plu. J’vois pas l’intérêt de faire pareil si ça ne me correspond pas.
Malgré tout en restant dans le style US classic je varie souvent de style(rond, straight, wild, flow, flèches, etc.) Et je joue beaucoup sur les couleurs. On a aussi l’impression que mon style ne bouge pas trop, d'une part parce que j’ai mon propre style et que forcément c’est dur de s’en détacher mais aussi parce que je peins beaucoup et que entre les cinq derniers graffs il n’y a pas une énorme différence. Et comme je ne dessine presque pas...Mais je ne connais pas vraiment de writer qui change régulièrement de style sans s'inspirer d'autrui et qui ne soit pas un copycat. I’a qu’à voir les modes dans le graff: la 3D, l'Ignorant, le Old-School US, en ce moment c'est les triangles, pyramides et compagnie...les effets de fat cap. J’préfère qu’on dise que mes graffs sont toujours pareils que changer pour changer, et faire ce qu’on aimerait de moi ou ce qui est à la mode. Je peins principalement pour le plaisir de faire, évidemment le résultat compte mais c’est peindre qui me plait...bomber! C'est aussi pour ça que je fait rarement des pièces sur deux jours ou plus. Il faut que ça aille vite et que ça soit spontané. Je n’utilise jamais de sketch je trouve que c'est plus des contraintes qu’autre chose. Je préfère m adapter au support.
Parlons un peu de matériel. Trouves-tu, toi qui as connu toutes les époques et je pense un sacré paquet de marques, que les bombes d'aujourd'hui rendent le graffiti plus facile? Après tout les Auto-K ou Krylon avaient la même puissance de fat, et d'autres marques comme Dupli-Color ou Sparvar étaient extrêmement précises, non?
La première bombe que j'ai eu en main était une 300ml noir mat je ne me souviens plus le nom(tag SIR ONE). Puis les bombes des puces à cap ajustables. C’est avec ça que j'ai fait mes premiers graffs. Ensuite les Altona, Duplicolor, et puis surtout les Krylon et les Buntlack. Mes marques préférées à cette époque aux puces: les Sparvar avec une préférence pour les "Blumen", gamme de couleurs pastels qui couvraient mortel, après sont arrivé les Felton. La différence principale à mes yeux, ce n’est pas trop l’outil en lui-même qui a évolué mais plutôt la qualité de la peinture qui est maintenant vraiment couvrante, comme tu dis il y avait déjà des bombes haute et basse pression. Je me rappelle avant, les jaunes c’était limite inutilisable à moins d'un mur apprêté en clair. Puis quand les Felton sont arrivé j'ai du faire une dizaine de graffs contour jaune. Puis les Hardcore, Gold, Belton, etc. Maintenant je peins a 99% Hardcore et 94, des fois des Black ou des Ironlak.
Les marques qui m’ont fait kiffé, pas trop connues:
-Quick, Danemark, embout femelle, couvrait très bien, peu de couleurs, c’est à Copenhague en 96, avec des Quick, que j'ai vu pour la première fois "mixer" deux couleurs.
-Plastikote: gamme très large, couvre pas mal, bombes ricaines, j'en avait pécho un stock au pavillon MJ spray quand ils avaient arrêté la vente de bombes. J’avais été les voir pour leur demander de pouvoir fouiller leur stock de bombes(autres que Sparvar) invendues, dans leur cave dormaient une dizaine de cartons moisis. Il y avait plein de Plastikote différentes, des Auto-K mais aussi pas mal de Rustoleum.
-HESOE: chilien, style particulier. Utilisation des effets de fat-cap avant l’heure.
-BOM5: NY late 80's-early 90's.
-OREUS MCZ.
-DADDY NASTY SONS: MEGA & ROMEO, duo hollandais old-school, styles classiques modernisés, peignent à 4 mains, super efficaces, persos, lettres et pleins d'autres dont les noms ne me viennent pas en tête.
Tu as participé au jury d'un Battle graffiti dans le Nord de la France il y a quelques semaines, qu'en as-tu pensé et que penses-tu de ce genre d'événements? Sans langue de bois!
Le principe du battle ça me plait, ça fait partie du truc la compétition. Des petits jeunes peuvent créer la surprise et se faire connaitre. Le truc qui est un peu naze dans ce genre d'événement c'est qu’à cause du système de notation, catégories/notes/jury multiple, tu peux te retrouver avec un gagnant que tu n’aurais jamais choisis si tu avais été seul. Mais comme j'aime bien bouger et peindre ailleurs c'est l‘occas’.
La profusion actuelle de livres sur le graffiti est-elle une bonne chose?
C'est sûr que c'est la profusion de livres, à croire que c’est devenu un passage obligé. J'en ai pas mal, j'kiffe le support papier, avoir l’objet. Il y a un bout de temps j’avais commencé a bosser sur un livre avec un pote, beaucoup de travail, un tri d' archives phénoménal et au final on a stoppé car il y a eu des désaccords entre les personnes bossant sur le projet et les autres coéditeurs, finalement ça n'est pas sorti et j'ai lâché l’affaire.
Depuis, j’avoue, l’idée de faire un livre sur mon taf s'est un peu éloigné. C'est quand même un taf de ouf si tu veux vraiment faire un truc béton. Puis il sort tellement de livres, ça se noie dans la masse.
Dernièrement j’ai kiffé le spécial stations fantômes de "Graffalife», American History de Roger Gastman et le bouquin sur Chaz Boroquez.
A quand le prochain changement de blaze? Et pourquoi?
Non...pas prévu!
Ton rêve le plus fou dans la vie? Voler avec les grues cendrées? Aller sur Mars? Voyager dans le temps?
Un tour du monde food & graffiti de 3 ans sur un énorme bateau avec ma famille et mes potes.
Une question pour moi?
Comment tu fais pour gérer/ranger ta collec’? Parce que j'ai pas grand chose et ça prend déjà trop de place. Et si jamais tu as une Red Devil à troquer j’suis chaud!
J’ai énormément trié, pour ne garder que les sprays «intéressantes» d’un point de vue esthétique ou historique. Esthétique par rapport au design général, aux typos, à la forme, telle ou telle couleur incroyable. Historique par rapport à ma propre histoire graffiti, les sprays avec lesquelles j’ai le plus peint, celles qui ont une histoire de leur vol vraiment cool, et historique par rapport à la «culture» graffiti. Ca me permet d’illustrer parfois les propos des gens que j’interview ici! Avec telle ou telle marque ou couleur disparue...Mais j’ai effectué une sélection drastique, j’pense avoir viré la moitié de ce que j’avais accumulé en quelques années(3-4ans). J’dois aujourd’hui avoir «seulement» 1000-1200 sprays. Ca te laisse une idée de ce que pouvais être mon appartement auparavant! Et encore c’est sans parler des stocks «d’utilisation» et de «vente». Et sans parler non plus de tous les autres trucs que je collectionne! Enfin bref, tu peux rassurer ta femme! ;) Et sinon je n'ai pas de Red Devil, je ne collectionne que ce que je peux trouver en France et en Europe, j'trouve ça débile d'acheter des sprays à prix d'or sur Ebay à PJay, juste pour avoir un objet que tu n'as vu que dans Subway Art ou Style Wars...et que tu n'utiliseras jamais! Chaque spray que j'ai, j'ai fait en sorte d'en avoir une deuxième ou plus pour pouvoir pulvériser avec et savoir c'qu'elle avait dans l'ventre. Il n'y en a que très peu dont je ne connais pas "l'intimité"...
Pour les liens, histoire d'aller voir plus de photos, et de jeter un oeil à la longue et prolifique carrière de VISION:
http://www.flickr.com/photos/36489271@N08/
http://www.galeriepascalvanhoecke.com/
Et enfin sache qu'une moitié d'un throw-up à toi subsiste à l'entrée de l'autoroute à Lille!
Fait plaisir une interview comme ça !
RépondreSupprimerQuand je commencait a peindre fin 90·s, Vision c etait pour moi une grosse reference, des fresques superbes,Big Up.
Supprimer1999 enorme claque avec les fresques dans Kapital, le bouquin que j ai le plus lu de ma vie toutes les recreations au college a lire Kapital avec les potes.
Pour moi des mecs comme Vision ou Kongo sont des piliers du graffiti francais.
Merci pour l interview.
J me rend compte que je me suis plante dans les dates, kapital etant sorti en 2001.
RépondreSupprimerLégende !
RépondreSupprimerVision bolos tu n'a aucun terrain à toi à Montreuil tu n'a jamais été le "King de la 9 " tu n'ai qu'un petit menteur
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