mardi 27 décembre 2011

Interview WOODY

WOODY à la fin du 20ème siècle, pour ceux qui ont commencé en même temps que moi, c'était l'une des plus importantes références. Style qui swingue, propreté monkienne, le peu de ce que l'on voyait dans les magazines sortait du lot. Et puis d'un coup, plus rien. Plus de photos à se mettre sous la dent. Les années passent, il réapparait sur Internet, et je lui pose quelques questions.


Tu suis encore le graffiti?


D’assez loin. J’ai très récemment fait le tour de deux-trois choses qui font le crossover entre le graffiti et le graphisme, voire l’art contemporain. Il y a à prendre et à laisser.


Quelles choses?


Du webdesign par exemple. Le print...D'ailleurs c'est étonnant le nombre de graffeurs qui peuvent opérer dans le domaine de la communication, de la pub, de l'imprimerie, etc...


De toutes manières, l’appréhension de ces choses est éminemment subjective. Par contre l’investissement de certains à travers les livres et les magazines est assez positif dans le sens où cela laissera un témoignage d’une époque et d’un phénomène de société. Il ne fait aucun doute que le Graffiti tel que nous le connaissons évoluera ou même disparaîtra à long terme. Il est le marqueur d’une époque et ne se développe que dans les sociétés modernes et démocratiques. Il n’est apparu en Russie qu’après la chute du mur de Berlin et se développe aujourd’hui dans des pays comme la Tunisie ou l’Egypte qui ont traversé les mutations engendrées par les révolutions de Jasmin.


Crois-tu vraiment que les gens arrêteront d’écrire sur les murs? L’urbanisation exponentielle du monde n’est-elle pas justement un formidable développement du terrain de jeu? Imagine la Chine ou l’Inde avec du graffiti à l’échelle occidentale!


A très long terme, oui. Ils trouveront d'autres choses. Des tatouages lumineux et séquentiels des systèmes de marquages holographiques...Imaginons par exemple un courant de graffeurs n'utilisant que des encres et peintures invisibles à l'oeil nu mais accessibles grâce à des lunettes ou lentilles spéciales. Ces lunettes s'échangeraient entre initiés et seraient activées grâce à des codes secrets faisant l'objet d'un trafic. Chaque code obtenu par le réseau offrirait la possibilité de géolocaliser un graff et de pouvoir le visualiser là où le tout-venant ne verrait que murs immaculés. Les graffeurs d'alors s'échangeraient des codes afin de se déplacer d'un point à un autre de la cité et d'enrichir une galerie virtuelle. Tout ceci dans la subversion et la clandestinité la plus totale.


A court et moyen terme, les Chinois feront du graffiti. Les Indiens aussi. D'autres encore...Internet permet de diffuser cette culture de par le monde. Ceci depuis, on va dire, une quinzaine d'années. C'est très récent.


Ta dernière pièce?


2002-2003. De manière très exceptionnelle dans un terrain. Depuis une petite peinture assez laborieuse avec le crew. Ambiance barbecue.


Ca te manque? A quel point?


Pas vraiment. Ce qui est sympa c'est de revoir des potes de rencontrer de nouvelles personnes. Je fais des toiles aussi. C'est différent. La toile reste. Et ce n'est pas du graffiti. Mais un bon chrome&noir ça reste toujours quelque chose qui fait de l'effet. Surtout si les lettres ont une belle typo et que le résultat est propre.


T'es tombé de haut avec Versailles? Que ce soit personnellement et en voyant le "comportement" de certains?


Oui et non. Bien évidemment c’est une procédure qui est toujours en cours donc j’éviterai de trop m’étendre. Le point négatif est que cela m’a coûté des sommes conséquentes. Le point positif est que j’ai comblé le vide ainsi créé en me surinvestissant dans mon boulot. Ensuite on sait ce qu’on risque même si ce n’est jamais agréable d’être pris dans ce genre d’évènement. Je pense toutefois que vouloir dégringoler 80 bonhommes en même temps à créé une véritable "usine à gaz" juridique. 11 ans de procédure et beaucoup de temps perdu pour tout le monde. En ce qui me concerne j’ai très peu de contacts avec les autres peintres donc chacun son dossier.


De quoi résultait ta propreté chirurgicale?


Tout n’était pas "propre", loin de là et il y avait quand même pas mal de grosses "bananes". Les bombes utilisées étaient quasi-exclusivement des Sparvar. Skinny caps gris. Le reste c’était plutôt une manière de peindre qui s’affirmait à force d’utiliser toujours le même matériel. Ca arrivait de se planter en voulant essayer une nouvelle teinte ou une nouvelle marque.


Ta marque de spray préférée, couleur préférée, cap préféré...Plusieurs choix possibles évidemment...


Sparvar Bordeaux-Marron 3007 mat avec un skinny gris. Ca c’était un consensus avec IDEO et SKIZO.


Pourquoi ce consensus? Comment s’est passé la réunion au sommet qui a enfanté cette décision?


Pas vraiment de consensus. C'est SKIZO qui un jour est revenu avec cette couleur. Un Bordeaux mat très fonçé, couleur un peu "lie de vin". Il était très enthousiaste et nous disait avoir trouvé une bombe extraordinaire pour faire les contours. IDEO et moi avons suivi. Elle faisait des traits hyper-propres, même avec des caps d'origine. L'essayer c'était l'adopter.


On en a vidé de celles-là. Sinon j’aimais beaucoup le noir mat Krylon ainsi que leur bleu-gris "Colonial" beaucoup plus rare.



Magnifique Colonial Blue, j’en ai utilisé quelques-unes il y a 2 ou 3 ans, comme le Slate Blue, le Teal Blue, les bleus et verts d’eau quoi. Est-ce que ça t’arrivait de chercher telle ou telle couleur pour te démarquer? Un peu comme aux States avec certaines couleurs très rares...


Tout le temps. Chez Sparvar j'affectionnais les couleurs mattes qui étaient de meilleure qualité. Un vert pistache mat, un vieux rose mat, le vert oase...Par contre Sparvar avait lançé une noire satinée. Je trouvais qu'elle coulait beaucoup. Après, il y avait des exceptions. Le vert Lagon Altona, les Mauves de chez Dupli-Color... Les Duplis avaient des super couleurs mais des caps de merde. C'est vrai que chercher des couleurs un peu rares, hors nuancier faisait partie du jeu.


Les Buntlack étaient sympas aussi. Les nouvelles bombes, surtout Molotow ont l’air d’être de très bonne qualité. Les Plutonium G ont l’air prometteuses aussi. Néanmoins, Sparvar restait la marque de base.


Des plans vols Sparvar?


Non, pas vraiment. Plans payés. On a récupéré des bombes d'autres marques par des détours assez alambiqués. Je ne peux malheureusement pas m'étendre sur le sujet.


3 rencontres-amitiés qui t'ont marqué?


Dans les rencontres, plusieurs restent marquantes. D’abord par la qualité intrinsèque des personnes. Souvent de fortes personnalités. Des gens intelligents et cultivés. Et ce, de tous milieux sociaux. En marge de cela, orbitent aussi quelques "personnages" dont certains peuvent même être qualifiés de psychopathes. On trouve des gens qui sont des artistes, qui sont attaché au coté esthétique de la chose. D’autres viennent pour le fame (illusoire, car à part une très restreinte clique de "branchouilles", le graffiti n’intéresse pas le grand public) et d’autres ont un problème de puberté tardive et ont un compte à régler avec la société. Il y a aussi l’effet de mode. Cela a atteint un pic vers 1989-92. C’était les années avec des taggeurs dans tous les Lycées. "American Graffiti " version Paname.


Ca pouvait évoquer "The Misfiths", le film, des gens en marge, certains très talentueux et sympas, d’autres étaient des loosers, certains des dangereux psychopathes.

Dans les rencontres, KREEM en premier. GRAY, SKIZO et IDEO. SEW et DOEN. IOZME, ASKIA et SHEED16. HIPY et LAYK(EIGHT). Ensuite on a croisé des tas de gens dans des plans ponctuels. Connus ou inconnus. Trop de monde pour tous les nommer.


Quelle était la pression inhérente au fait de poser CIA?


Au début, quand tu rencontres la génération précédente, tu ne peux que rester humble. Parce que les gars avaient compris le truc avant toi et l'avaient intégré. Parce qu'ils en maîtrisaient les codes alors que toi tu essayais juste de comprendre. Tu prends le train en marche et tu te retrouves avec les cheminots. Les gars étaient très cool, ils te laissaient faire ce que tu voulais et avaient confiance dans ta capacité à progresser. Ils te montraient où trouver les bonnes bombes, comment retailler les caps, des books de plans.


Une journée typique dans les années 80? Dans les années 90?


Walkman à cassette. Grosses baskets. Jeans ultra larges. Bombers, Starters, Goose, casquettes ou Kangols. Feutres Posca avec Berol Flo Master. Bombes Altona, Krylon, Sparvar, Belton… Trains de banlieue avec un appareil photo 24x36 en poche. On missionnait des kilomètres pour une photo.


J’ouvre une parenthèse car c’est, je pense, le truc le plus important qu’on a perdu, depuis l’avènement du numérique et d’Internet, le voyage, la mission pour aller prendre une pièce sur une voie ferrée, dont untel t’as parlé au téléphone ou dans la cour au lycée. Les nouvelles générations ne connaissent pas ce bonheur. Fallait aller voir de ses propres yeux le truc, c’était un moment de recueillement presque! Un pèlerinage! D’ailleurs quelles sont les pièces qui t’ont le plus traumatisé?


Plein. A une époque je prenais pas mal la ligne nord, donc ACIDE sortait du lot. Il avait un style de lettres vraiment sympa, fat, évasées à la base. Il en mettait partout. BOXER aussi. A l'entrée de Gare du Nord sur les rails des grands "JONONE" très lisibles – limite bubble – ne pouvaient être ratés. BANDO aussi était le meilleur sur les fat letters. C'est d'ailleurs dommage qu'il se cantonne aujourd'hui à faire du "straight". Sur la Est, ODACE, SAN, JOCE et SOAN, et les TCS avaient fait des pièces qui sortaient du lot. Pour les pièces en couleur, comme je passais régulièrement à Tikaret c'était les BBC qui sortaient du lot. Dommage qu'ils n'aient pas fait plus d'illégal.


...Cabines téléphoniques.

Rendez-vous manqués une fois sur deux à Châtelet-les-Halles. Pas de fanzines à part TZL. Les passages à Tikaret à Stalingrad pour mater les photos que Daniel avait punaisées à gauche de la porte...Entre 87 et 89 on se rendait à la Fnac de Châtelet pour découvrir les arrivages Rap sur cassettes. Il n'y avait pas de rayon pour cette musique alors il fallait ouvrir les tiroirs sous les présentoirs des musiques électroniques et expérimentales(...). Parfois on y trouvais de véritables pépites comme le "Big Daddy Thing" de Big Daddy Kane, du Kurtis Blow, D-Nice, etc.


Ensuite dans les années 90, ca a été les beepers, les APS (grosse daube), les walkmans CD et Mini-Discs. Missionnage en caisse. Quelques fanzines. Peinture Sparvar presque exclusivement. Parfois de la Auto-K, de la Buntlack. Rarement de la Krylon. La qualité de ces dernières n’y était plus.

Internet vers 97, les premiers portables ressemblaient à des valises Samsonite. La grosse période a été les trois années 1989-90-91. Toutes les stations de métro étaient tagguées à un point qu'on aurait dit des carnets de brouillon.


Si tu devais revoir 5 murs en vrai, lesquels?


Je n’en sais rien. L’important est d’avoir une photo. Les murs sont juste des supports. Ils sont éphémères eux aussi. Je crois que je préférerai revoir des personnes que j’ai connu et qui sont malheureusement décédées. Les graffitis sont éphémères et appréhendés comme tels. Qu’ils disparaissent ne me pose pas de problème. Cela pousse même à voir vers l’avant pour continuer à créer et se renouveler.


Ca te rassures pas de voir certains "vestiges" encore en place? Sur le passage du temps, le "patrimoine"? Parce que moi c’est un peu mon quotidien, ma passion, ça doit être très parlant psychologiquement.


J'ai appris récemment qu'une de mes pièces faite il y a plus de quinze ans était toujours en place. C'est sympa parce que d'autres peintres m'en parlent et que ça permet de se remémorer des souvenirs.


La meilleure paire de basket de tous les temps?


Difficile. Trois, quatre sortent du lot dans celles que j'ai possédé. Les Nike Air Trainer Bo Jackson (gris et jaune) de 91...


Aaaaaaaaaaah les Air Trainer j’ai eu des rééditions Foot Locker début 2000, blanc-gris-rouge, putain quelle tuerie, une des meilleurs paires que j’ai eu, confort, style, ça te coupait un jean comme aucune autre. D’ailleurs je ne sais pas si tu me rejoindras mais pour moi les Air Trainer sont vraiment représentatives des chaussures des B-Boys, en tant qu’image d’Epinal, les B-Boys graffiti des années 80-90. Non?


Oui, les Jordans avaient pas mal la côte aussi. Mais les Air Trainers, je les avait ramené de Boston en 91. Elles n'étaient pas importées. Magnifiques. Lorsque Set les a vues, il est parti au states direct pour s'en acheter une paire...(Il y n'y avait pas internet, c'était pas très economique...)


Il y avait les Airwalk prototype(bleu et blanc) de 1987(j'ai jamais connu personne d'autre qui les a eu), les Addidas Torsion ZX-500(bleu et gris), ces dernières étaient absolument indestructibles.


Aujourd'hui je porte des "Regal" blanches et bleues de chez 310 Motoring.


Sinon, en réédition il y a les Jordan 4 et 5. Valeur sûre. J'ai remarqué que Nike venait de sortir une édition limitée des Nike GRAD que l'on voyait dans le film retour vers le futur avec M.J. Fox. Elles sont malheureusement inaccessibles car réservées à une oeuvre de charité($5000 la paire). Mais elles étaient aussi le "Holy Grail" à cette époque !


Qu’est-ce que t’étais allé faire à Libercourt? Avec un ami on a toujours bloqué sur ce tag dans le couloir sous les voies...I’avait un Nosé aussi et on se demande depuis 10 voir 15 ans ce qui vous avait amené respectivement dans ce bled perdu...i’a même pas un podé...


Dure question. C'est loin. Parfois on remontait les rails en voiture. Cetains trains étaient exceptionellement garés de nuit sur des voies de garage de "marchandises". A mon humble avis, il devait y avoir du roulant dans le coin. Cartes Michelin, cartes SNCF. Une lampe sur le siège passager et on missionnait des heures. On rencontrait des blaireaux, des renards, des cerfs et on se paumait dans des kilomètres de forêt au bord de la panne sêche sans voir un bout de civilisation. On avait aussi des amis pas très loin.


Si quelqu'un a ce tag et ceux qui se trouvaient dans ce passage...merci d'me les envoyer!








Photos enregistrées à droite à gauche: FB Wasted Talent, 90BPM, etc., j'ai malheureusement jamais eu l'occasion de croiser un graff de Woody en vrai, j'aurais aimé en décortiquer un pourtant! Juste ce tag de Libercourt...


ps: j'ai retrouvée cette itw de 2000...http://kriloner.tripod.com/parissouslesbombes/id25.html, quelques bonnes phrases!



5 commentaires:

  1. sympathique. Quelle chance d'avoir été acteur à cette époque.

    RépondreSupprimer
  2. Des fois les interview/rencontres avec les anciens, ça gache l'idée qu'on se fait de la personne. C'est pas le cas ici. Bonne lettres, bonnes paroles.

    RépondreSupprimer
  3. dans mon top pas beaucoup Woody ! Une grosse influence !

    RépondreSupprimer
  4. le numérique n'empêche pas d'arpenter la ville pour prendre des photos, au contraire, tu peux en prendre quasi à volonté...et tu les as direct sur ton ordi. je check le net sur lequel il n'y a vraiment pas tout (pour les contrées lointaines c'est cool), mais je veux absolument avoir mes propre clichés...peace!

    RépondreSupprimer
  5. Belle métaphore avec le jazz et Thelonious, keep crate diggin'...

    RépondreSupprimer