jeudi 12 juillet 2012

Interview CTGM

Vous connaissez mon goût pour le Tag, l'Histoire, et la Ville. Alors quand je suis tombé sur un blog qui parlait des CTGM(que je connaissais via l'escapade lilloise de THIRTEEN et SAOTOU), et que l'étendue de leurs aventures m'a sauté à la gueule, j'ai rapidement contacté ces sacrés fouineurs.



Aller là où personne n'est allé depuis des centaines d'années...pourquoi?

Il est important que le lieu nous procure une perte de repères totale, obscurité totale, silence complet, aucun repère temporel, une zone déconnectée, quasi-inexistante, non reliée avec le réseau urbain habituel.

Un lieu idéal pour la coupure et l'équilibre quand tu es pressé et conditionné toute la journée dans ton système traditionnel, peu importe ton taf. Ces lieux apportent un équilibre.

Aller là où personne ne va plus depuis des siècles pour diverses actions c'est suivre une trajectoire non conforme,c'est ce dont on a besoin.

Deuxième aspect, vraiment connaitre sa ville et ne pas la voir seulement comme on voudrait qu'elle soit vue c'est-à-dire hyper-centre, centre, péri-centre, périf’, banlieue, ou alors l'aspect hyper-centre carte postal et le reste de la ville livré à l'acharnement immobilier.

Dans notre démarche le principe de l'histoire d'une ville, son patrimoine et ses mutations sont des points très importants. Chaque détail nous passionne. On se déplace dans du vide, sous terre, qui a servi à construire une ville ou à développer son économie. Quand on aime une ville on aime bien savoir ce qu'elle a dans le ventre, prendre une ville par dessous, d'une plaque à une autre. Passer sous l'université, sous la prison, sous ton bar habituel, etc.

Vous renseignez-vous en amont sur les endroits où vous voulez aller? Livres d'Histoire ou autres...Ou allez-vous en freestyle?

On a différents modes de sessions, soit on descend entre nous pour se poser tranquille dans notre salle qu'on a conçue pour se réunir, inviter du curieux ou faire une grosse soirée concert (gratuit bien-sûr).

Soit on part en session exploration de nouveaux réseaux, dans ce cas on part grave équipés, on chope des plans ici et là, on s'appuie sur des livres historique et des documents administratifs de la mairie et c'est parti pour l'aventure. Là ça demande 1 mois maxi de recherche avant de pénétrer et explorer.

Dans d'autres cas d'exploration c'est pas la même histoire, les documents en notre possession prouvent l'existence de souterrains mais il n'y plus d'entrée connue ou visible. Dans ce cas on peut creuser pendant 6 mois ou passer d'un réseau à un autre en creusant toujours. Les portes, les cadenas, les soudures ne nous ont jamais posé de problèmes. On y arrive toujours, c'est une question de volonté. Notre objectif c'est de tout connaitre.

Des histoires de nazis, mysticisme, sacrifices, ésotérisme?
Des groupes en tout genre oui, ils ont leurs secteurs un peu comme en ville, mais il y en a beaucoup moins qu'à une époque, tout s'est un peu calmé. Après d'autres diront autres choses, nous on parle de ce qu'on voit chaque semaine depuis 7 ans c'est tout, on invente pas d'histoires.

Des faits de violences, sacrifices et autres c'est dur de savoir ce qui est vrai ou faux, donc pareil on va pas en parler.

Notre ennemi c'est le promoteur immobilier sans respect pour le patrimoine qui comble avec du ciment des carrières vielles du 13ème siècle et ça on le voit tout les ans.

Des caches d'armes datant de la Seconde Guerre, des symboles nazis, en passant par quelques os humains parfois trouvés ici et là, une bonne recette qui donne toujours lieu à certaines légendes urbaines, parfois avérées ou non, qui permettent aussi de protéger l'endroit de certains visiteurs mal intentionnés qui deviennent vite frileux dès lors qu'ils se retrouvent dans l'obscurité.

Est-ce que des personnes vivent dans les souterrains?

Dans certains réseaux industriels moins humides, ça existe. Dans d'autres pays il peut y avoir une population de milliers de gens. Exemple en Roumanie dans les égouts de Bucarest, on les appelle «les enfants lumières». Un docu est visible c'est désastreux.

Il y a une "autorité" de ces lieux? Genre un mec ou un groupement qui veut imposer des règles et qui n'aime pas trop toutes ces intrusions?

Personne ne peut imposer ses règles dans ce milieu, c'est pas contrôlable, c'est une zone neutre, immense, sans règles de vie.

La municipalité gère forcément une partie de ces lieux et lutte comme elle peut pour empêcher les intrusions mais ils sont vraiment pas doués, même s’ils commencent à s'énerver un peu(rires).

Le tag ne gâche-t'il pas un peu toute cette magie?

Grande question! Ce sont les lieux très fréquentés où il y a le plus de tag, si tu vas dans des lieux difficilement accessibles et très isolés tout est vierge. Après chacun fait comme il veut du moment qu'il ne taggue pas une autre signature très ancienne ou très récente. En-dessous c'est comme au-dessus, le tag dérange celui qui trouve ça dérangeant, c'est aussi simple que ça.

On met quand même au défi celui qui déteste le tag de ne pas poser son nom pour montrer qu'il est passé, sous terre c'est de l'ordre de l'instinct.

Le tag est une continuité historique, tout comme l'ouvrier en son temps marquait l'empreinte de son passage au fusain ou d'un matériau artisanal.

Des blazes méconnus mais légendaires dessous?

L'ouvrier du 19ème siècle qui bossait comme un bagnard, le résistant français en planque de la Seconde Guerre, les populations qui ont fui les bombardements ont beaucoup signé aussi.

En ce qui concerne les 30 dernières années et le mouvement "contre culture", beaucoup de monde assez connu comme les Rats, les FC, et bien-sûr c'est un musée du graffiti donc il reste du BOXER, BANDO, etc.


Il y a 2 photos, dans Damnati ad metallum, particulièrement intrigantes. Celle avec l'espèce de grille et le lierre qui pend, et l’autre avec ce qui semble être des restes de rails. En savez-vous plus sur les activités humaines industrielles qui ont pris place dans les souterrains? Les endroits sont-ils restés figés du jour au lendemain?

Le lierre dans le vide c'est la végétation du dessus qui descend dans un ancien puit d'extraction de pierre, en 1944 ce puit servait de lieu d'approvisionnement aux populations qui ont fuit les bombardements américains et anglais durant la bataille de Normandie, ils étaient plus de 10 000 sous terre. Avant que les parisiens lèvent les bras pour l'accueil des ricains, d'autres français mourraient par milliers sous leurs bombes, ça on en parle pas trop…sur ce sujet on pourrait écrire des pages et des pages.

Le rail qui apparait sur cette autre photo, servait à l'extraction de pierre toujours. Cette fameuse pierre de Caen qui a été exportée du 11ème au 20ème siècle dans le monde entier, ça vous laisse imaginer que notre ville d'origine repose sur un vide immense.

Beaucoup de ces endroits sont restés figés, d'autres réutilisés, d'autres effondrés et d'autres détruits volontairement par l'homme.



Dans Triumphum Praeteritum, pareil, la photo avec cette étrange salle en béton au toit troué d’un rond, et cette porte rouge derrière une grille à même le mur, tellement représentative du truc, «tiens une grille et une porte, faut qu’j’vois c’qu’i’a derrière».

Cette fameuse pièce ronde!!! Peut-être notre meilleur trouvaille, celle qui te prend au bide. Déjà il nous a fallu des mois pour péter le mur qui nous séparait de cette salle. Un mur à rendre fou, des fois on se préparait pendant 1 heure pour donner 1 seul coup de masse ça résonnait tellement que le bruit remontait a la surface.

On a placé des torchons sur la masse et le mur pour que ça fasse moins de bruit mais ça marchait pas assez, ensuite on a placé un associé à la surface dans sa bagnole qui klaxonnait pendant qu'on tapait.

Un soir au bout de 4-5 mois on a mis 20 coups de burin, en mode rien à foutre, on s'est tous engouffré.

La récompense c'était une ancienne salle d'opération clandestine datant de la Seconde Guerre, on voit sur la photo la table d'opération et en hauteur l'ancien lustre pour opérer, au sol sur tout le tour de la salle il y avait un système pour l'évacuation du sang.

Ce soir là on a pris une grosse claque. 2 jours après le mur était bouché.

La photo avec la grille rouge c'est une ancienne mine mais on réussi a trouver une entrée plus pratique, l'intérieur en revanche était complètement inondé.


Est-ce que vous êtes rigoureux? Tenez-vous un agenda, dessinez-vous vos plans, répertoriez-vous vos découvertes, avez-vous un placard à clés, etc. ?

On est obligé d'être rigoureux que ce soit pour les explos ou les soirées qu'on organise, le lieu ne te permet pas de faire ça comme un baladin sinon tu peux le payer cher. Un plafond peut s'effondrer, tu pètes ta lampe tu ne ressors plus, tu tombes sur un mauvais groupe il faut se défendre...On a aussi notre patrimoine caché qui repose en lieu sûr, plusieurs plans, masse, crique, pied de biche, fumi, extincteurs, marteau piqueur, groupe électro, double de clef, nos cadenas à nous, masque à gaz, des lampes par centaine et des disques dur plein à craquer.

L'aménagement de notre fief «la salle du marginal», ça nous a prit 4 ans, et il valait mieux être très bien équipé en marteau, pioche, pelle, marteau piqueur et fixation pour les lustres(une dizaine).

Cette salle c'est notre fierté, organiser des soirées clandestines à plus de 150 personnes dedans fut un honneur.

Vous n’êtes pas des Paris à la base si j’ai bien compris, parcouriez-vous déjà votre ville d’origine par en-dessous? Êtes-vous à l’affut des souterrains d’autres villes françaises?

À la base on est tout les 6 de Caen c'est là qu'on a crée le collectif, c'est une ville de taille moyenne avec un sacré patrimoine, «la ville aux cent clochers» c'est Caen, tout ça c'était avant la Seconde Guerre, c'est connu dans le secteur ça a cogné sévère.

De nos jours ça serait plutôt la ville au 30 clochers. Cependant on a un autre gros patrimoine et celui-ci il est souterrain.

Comme je disais plus haut c'est 9 siècles d'extraction de pierre. Notre pierre très convoitée a construit des immeubles et cathédrales à New York, Londres, Paris, etc.

Connaitre le moindre recoin sous Caen nous a pris des années, c'est gigantesque. Mais depuis on contrôle tout, chaque galerie,chaque plaque,les gens rentrent et sortent grâce à nous.

Tout en habitant à Caen on descendait beaucoup aussi sous Paris, il fallait et on voulait tout connaitre. C'est chose faite.

Pour les autres villes ce fut toujours de courtes sessions, jamais le temps de tout explorer, Lille, Lyon, Rouen, Bordeaux, etc.

Aujourd'hui après 7 ans d'activisme on s'est un peu calmé, on habite presque tout les 6 dans des villes différentes et les sessions se font plus rares, alors pour arranger tout le monde le point de retrouvailles est devenu Paris, mais notre bastion restera toujours Caen et il s'y passera toujours des choses.


Passez du temps sur: CTGM Society, j'aurais pu poser mille questions sur chaque photo! Mais j'préfère laisser leur part de mystère à ces joyeux aventuriers...










7 commentaires:

  1. MOR-TEL!! J'ai même pas encore regardé le site mais je cours aller acheter une petzl direct, lol! J'ai visité un petit tronçon de vf désaffectée la semaine dernière, j'ai mis des toph' sur mon blog. Et j'ai voulu me renseigner sur l'histoire de l'usine qu'elle alimentait: il reste encore 26km de galeries dans la montagne à 4km du centre-ville: un métro spécial y transportait de la roche pour une usine de ciment dès le tout début du 20ème! Les photos des spéléologues qui les visitent déchirent!... Dans un tout autre endroit, je connais même une immense cave voutée qui était grillagée, mais le grillage a sauté... Mais j'ose pas y aller, lol... Et pour ce qui est des dommages "co-latéraux" causés par les alliés et en tête les 'ricains, des pages et des pages ont justement été écrites!!..... Mais pour être édité, c'est tout autre chose!.......

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  2. Bien sympathique cette équipe, je viens de mater leur blog, de sacrés clichés, ils ont visité également les Moulin de Paris, notre terrain de jeu quand on était plus jeunes...même quand on avait pas de sprays, on y allait juste pour squatter, visiter, se lancer des "défis"...par contre dès que la nuit arrivait, ça détalait sec !

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  3. Encore un putain de bon sujet. Interessant. On a envie d'y être, de découvrir cet univers. Le ressentir. Le sentir. L'entendre. Le voir...Ca donne envie de suivre l'équipe. Leurs graffs, en noir et blanc ou chrome, s'accordent bien avec le fait que dessous, il n'y a pas de lumière.
    Merci à toi et à eux pour cette petite interview.

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  4. De 43 à 44, environs 70 000 civils tués en France, pour des raisons peu évidentes de soulèvement des masses populaires, et d'assouvissement des populations des pays perdant. (la France est alors sous domination faschiste) Les "alliés" ont fait plus de mort sur notre sol que les Allemands, soit dit en passant... Caen, et particulièrement Le Havre se font démolir grave !! Beau sujet, je ne situais pas vraiment de quoi tu parlais en début d'ITW, mais vraiment bien. Des photos de la salle d'opération?

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    1. Check le site, avec la description faite ici, tu trouveras vite...

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  5. J'ai eu le plaisir de croiser ces gens lors d'une visite dans une carrière du coté de Caen, ils ont été très accueillants et sympathiques. Ils ont pas contre un gros défaut en souterrain, leur envie de laisser de la peinture derrière eux.
    Le défi de ne pas laisser son nom derrière soit est relevé par un tas de gens et cela permet aux visiteurs suivant d'avoir l'impression d'être le 1er à découvrir un lieu.
    Dire que le tag est la continuité de la trace que laissaient les ouvriers derrière eux est un peu gonflé, qu'un ouvrier laisse une trace de son passage au fusain, là où il a travaillé est une chose qui se conçoit, ça se fait de signer son travail, par contre écrire en gros à la bombe son blaze juste pour dire que l'on est passé par là en est une autre et c'est beaucoup moins légitime.
    Sous Paris, il y a eu tellement de visiteurs indélicats que la trace des anciens, de ceux qui ont façonné ces souterrains, est en train de disparaitre sous la peinture publicitaire des tagueurs.
    Une écriture au fusain, ça se cherche car c'est discret, un tag à la bombe ça s'impose à la vue, ce n'est pas du tout le même esprit.

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  6. Je suis retourné voir la salle du marginal et bien des autres tags prennent le dessus bien dommage car c'est un super lieu.

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