vendredi 2 juillet 2010

Interview Deenar

Chez Capdorigine on aime les gens discrets, efficaces et qui manient la spray avec classicisme et fraîcheur.




Quel est le premier tag ou graff qui t'a fait te dire "merde ça tue faut qu'j'm'y mette..."


J’ai commencé à m’intéresser au graffiti au début des années 2000, à l’époque la scène était assez active sur Lille à en croire les photos qui circulent sur internet et pourtant je n’en ai aucun souvenir. En fait les premiers graffitis je ne les ai pas vus dans la rue mais dans les magazines, comme nous étions accrocs au hip-hop mes potes et moi nous nous sommes «naturellement» dirigés vers le graffiti. Ce sont donc d’abord les magazines qui m’ont poussé à graffer, puis le reportage Taggers sur la Ville d’Envoyé Spécial diffusé en 2002 m’a conforté dans mon délire, alors que la plupart de mes potes de l’époque avaient déjà lâché ce reportage m’a poussé à franchir le cap et à poser sur mur.












Quels étaient tes "stars" à l'époque?


Comme je t’ai dit à l’époque je ne calculais pas trop la scène graffiti, j’avais la mentalité de quartier et nos seules sorties consistaient à zoner à Euralille et à nous faire recaler à Planète Saturn, des fois, quand nous étions motivés, nous bougions sur République… Il était donc difficile d’avoir un aperçu de ce qui se faisait à l’époque dans la région, ce qui me gène pour répondre à ta question. Pour le peu qui me reste en mémoire je dirai les DNK, les RCM, des mecs comme PAGE et AXE m’ont beaucoup marqué mais de là à les qualifier de « stars »… Les grands du quartier où je trainais mes guêtres m’impressionnaient bien plus.


Tes influences? Graffiti, graphisme, pochettes de disque, etc.


Pendant longtemps mes seules influences étaient issues du graffiti. Je me suis beaucoup inspiré de mecs comme PETAR et CUYTE, PETAR pour le flow, CUYTE pour l’impact. PAGE m’a aussi mis des claques, j’ai essayé pendant un certain temps d’avoir la même vibe que lui dans mes graffitis mais j’ai vite lâché l’affaire…La scène parisienne des années 90 m’a également beaucoup influencé, j’ai toujours cette image « stéréotypique » selon la quelle le graffiti se résume à un bloc simple, des gros contours, un dégradé bleu/rose, situé de préférence pas très loin d’un hall. Pour beaucoup de mecs aujourd’hui, s’ils devaient te résumer le graffiti en une photo, ils te sortiraient probablement un cliché de Martha Cooper ou de Henry Chalfant. Pour moi ce serait plutôt les photos oldschool dans Wild War, notamment le STAES fait par STEAZ et SUBTY vers 1990-91, même si le dégradé bleu-rose n’est pas là c’est très proche de la perfection, de mon point de vue, niveau ambiance. Pour rester sur la scène parisienne et pour en finir avec les influences graffiti stricto sensu des mecs comme COLT et SLICE ont été une source d’influence très importante pour moi, on sent un travail de la lettre non négligeable et malgré tout la simplicité demeure. Je pense que ces influences se ressentent dans ce que je fais, je n’ai jamais trop accroché au délirewild style, même dans les terrains je fais des blocs et utilise peu de couleurs.


Niveau graphisme des mecs comme Alex Trochut, Stefan Chinof, ou encore Alberto Seveso m’impressionnent énormément, j’aimerais avoir leur talent pour capter l’énergie de leurs illustrations et la retranscrire sur mur, tout en restant simple, mais pour l’instant ce n’est pas gagné, je reste assez traditionnel, je ne m’éloigne pas trop des codes. La typographie des affiches de films des années 70 et les Marvel de la même époque font également partie de mes sources d’inspiration.









Le thème c'est "cap d'origine", dis-moi ce que ça t'évoque.


Pendant longtemps je ne peignais qu’à la Montana, vu le pouvoir couvrant je pensais que ça allait être génial, en tout cas mieux que les bombes de Mr. Bricolage avec lesquelles j’avais niqué mon garage, mais en fait ça m’a frustré... Puis PETAR m’a appris la spoliation, j’étais donc moins du côté de République et plus vers Roubaix (Bricorama) ou Villeneuve d’Ascq (Norauto, Leroy Merlin) et là ma façon de pratiquer le graffiti a changé. Avec la Montana je m’adaptais au débit de la bombe et comme le débit est relativement faiblard mes graffitis l’étaient également, c’était mou, il n’y avait aucune énergie or le graffiti était pour moi un exutoire, d’où ma frustration… Avec les bombes pé-ta et le cap noir à pastille blanche j’ai adopté une autre posture, j’étais plus libre de mes mouvements et moins soumis à la lenteur de la Hardcore, ça m’a permis d’aller plus vite dans mes gueu-ta, de sortir la rage que j’avais en moi. Certes ça ne m’a jamais permis d’avoir le flow de PAGE ou de PETAR mais ça m’a tout de même permis de donner une certaine vibe à mes lettres.

C’est intéressant que tu parles du cap d’origine, je n’aurais sans doute jamais envisagé les choses sous cet angle mais je pense que l’utilisation du cap d’origine permet de distinguer les générations. Les anciens serinent souvent le fait que le graffiti « c’était mieux avant », et les mecs de ma génération leurs répondent généralement que seule la nostalgie leur fait regretter le passé. Je pense qu’il faut être plus nuancé. La nostalgie joue surement pour beaucoup dans le regret des anciens mais le changement de matériel n’est pas non plus sans incidence, et le cap d’origine en fait justement partie. Le flow dont je te parlais précédemment est difficile à obtenir avec une Hardcore, a fortiori avec une 94, et même si certains mecs la maitrisent très bien et font de très belles choses je pense que ces bombes contribuent à faire perdre son « âme » au graffiti. Je ne pense pas que tu me contrediras sur ce point mais le graff trop propre, trop net ce n’est plus du graffiti, ça rejoint plus le design, le graphisme. Le travail essentiel dans le graffiti reste le travail de la lettre, la propreté ne doit pas masquer une absence de style mais il ne faut pas non plus que l’absence de propreté desserve le style. Il s’agit d’un juste équilibre à trouver, et cet équilibre est selon moi plus difficile à atteindre avec les bombes actuelles.


Ton avis sur la situation du graffiti dans le Nord? Dans le monde?


Je ne côtoie pas trop les mecs du mouvement donc je serai bien incapable de te donner un avis, sur un plan humain, relationnel, concernant la situation du graffiti dans le nord. Je pense que malgré l’activité intermittente de certains crews dans la région (ST, SA, VR6…) on a longtemps été dans une période de vache maigre tant au niveau quantitatif que qualitatif mais certains signes me font dire qu’on commence à sortir. Tout d’abord au niveau qualitatif avec des mecs comme VASIO et ELVIS qui apportent beaucoup de nouveauté et de vitalité à la scène lilloise. Ensuite au niveau quantitatif je me rends compte que la nouvelle génération bouge pas mal, même si, et ce n’est sûrement pas moi qui les en blâmerais, le périmètre d’action de certains se réduit au périmètre autour de leur quartier. La seule chose qui me laisse sceptique quant aux beaux jours du graffiti à Lille c’est la mentalité des anciennes générations qui ont souvent tendance à rabrouer les nouveaux. Dans tous les domaines le savoir se transmet, c’est même nécessaire au développement d’une discipline et je ne vois pas pour quelle raison le graffiti, même s’il reste une activité hautement « égotryptique », devrai échapper à cette règle.


Concernant la situation du graffiti dans le monde je dois t’avouer que j’ai trop peu de connaissances en la matière pour me prononcer sur la question.


Pourquoi graffes-tu? Pourquoi moins que d'autres, pourquoi différemment.


Comme je te l’ai dit nous étions plusieurs mecs de mon quartier à graffer, la plupart ont vite lâché quand ils ont vu que ça ne rapportait pas d’argent… Pour ma part j’ai continué, je m’y suis accroché sans trop savoir pourquoi sur le coup, et même maintenant d’ailleurs, ça doit être lié au besoin d’évasion, au besoin de liberté. Le graffiti m’a permis d’extérioriser certaines choses et de me détacher de la mentalité du quartier, en gros ça m’a permis d’éviter de faire du sur place et de mal tourner. Aujourd’hui si je continue c’est sûrement parce que ça me permet de me distinguer de la masse, le travail des lettres me pousse également à continuer, ou m’empêche d’arrêter, c’est selon…

Je graffe moins que d’autres car mes proches n’ont rien à voir avec le tag et mes activités extérieures me laissent peu de temps libre, forcément ça limite les sorties graffiti… Je préfère fonctionner comme ça pour ne pas saturer, j’ai envie de faire ça sur du long terme. Je n’ai jamais été le genre de mec super actif pour ensuite tout lâché du jour au lendemain, je préfère rester discret pour pouvoir pratiquer le plus longtemps possible, ça me prive de la fame mais je ne graffe pas pour la gloire ni pour la reconnaissance, je graffe pour moi, si j’avais besoin de gloire je n’aurais certainement pas choisi le graffiti… Sur tous les mecs qui « cartonnent » à Lille aujourd’hui, de combien se souviendra-t-on dans 10-15 ans sans avoir à jeter un œil dans les archives? Comment immortaliser la réputation de mecs ayant pratiqué une activité éphémère ? On se souviendra sûrement de mecs qui s’y sont consacrés pleinement, des mecs comme TRANE par exemple. Mais s’y consacrer pleinement suppose une perte de vie sociale, ou du moins une vie sociale en marge de la société et personnellement je ne suis pas capable de faire ce sacrifice. Même si la vision que j’ai d’un graffiti « parfait » reste conventionnelle mon rapport au graffiti ne l’est pas forcément, « j’avance l’entement mais sûrement...»











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