mardi 17 août 2010

You better ink

Il y a quelques mois, un dénommé A.75 nous livrait quelques magnifiques proses et diatribes sur les encres, sur un site graffiti bien connu, que je vous relivre ici.

Quelle encre choisir ?

Partant du constat déplorable qu’il n’existe aucune organisation de défense des droits du consommateur qui se soit penché sur les marchandises destinées à nous autres utilisateurs de marqueurs, aérosols, silex, acide ou autre, je prends les choses en main et investis le champ vacant en réalisant la première étude comparative sur les encres à tagguer de couleur noire.
Tout commence dans un magasin du boulevard de la Chapelle, à Paris, pour m’approvisionner.

Trois marques retiennent mon attention.

La première, la Corio. Autrefois, elle se nommait Corio « Méleine ». Entre guillemet parce que je ne suis pas sûr de l’orthographe. Elle se trouvait rue de Belleville, chez un spécialiste du cuir qui existe toujours mais qui n’a que quelques coloris en stock. Elle se vendait en bidon d’un litre. Elle coûtait 100 francs. C’était en ce temps là. Mais, les bomb-shop sont apparus et, dans leur sillage, la Corio historique a été remplacée par une nouvelle Corio. La nouvelle est plus chère, plus fluide et ses qualités couvrantes bien moindres. Une Corio cuvée 1990 avait une belle robe noir de jais qu’une subtile viscosité permettait d’appliquer en couche épaisse. Toutefois, elle n’adhérait pas à tout et, sur le verre et sur l’inox, elle perlait. La déception envahissait le valeureux utilisateur lorsqu’il voyait s’étioler loeuvre alors même qu’il risquait autant que si elle avait tenu, l’oeuvre. Pourtant, son opacité en faisait une référence et le spectre qu’elle laissait, largement augmenté par le Bleu de méthylène qu’on y adjoignait, nous convainquait de la validité de notre choix. J’en étais un consommateur satisfait. Et puis, il y a eu la nouvelle Corio. Elle est à l’ancienne ce que Montmartre est à l’alpinisme, autant dire, pas grand chose. Tout ce qui était bon a été remplacé par de l’alcool. Certes, il n’est pas rare de commencer une escapade picturale par quelques lampées éthyliques, mais, de là à mélanger l’encre et la boisson, le raccourci est dangereux. Ce qu’elle a perdu en opacité, elle l’a gagné en émanations olfactives. Sa tenue est si mauvaise qu’au moindre rayon de soleil, elle se transforme en spectre avant même le passage des équipes de nettoyage dont nul l’oubli le fondateur, Jean Néron Tiberi, ennemi ultime du graffiti à Paris. Au bout d’un mois, il ne reste rien d’autre qu’un pâle gris qu’aucun n’aimerait pour porter sa gloire au firmament des activistes urbains picturaux. Pour les amateurs de jeux de mots et autres énigmes des concours de programme télé, que je ne rechigne moi-même à résoudre à l’occasion, notons que je n’ai aucun rapport avec la compagnie désignée par les initiales des trois derniers termes. Bref, la Corio ne présente pas un grand intérêt à mon sens. Pour les nostalgiques, les établissements de la rue de Belleville disposent encore de quelques versions originales mais dans des coloris qui ne sont pas notre propos ici.

La seconde, la Nero d’Inferno. Présentée comme le noir absolu elle se révèle décevante. D’abord, c’est la première encre qui, à ma connaissance, a été lancée spécialement pour nous, les jeunes. Ensuite, son appellation est usurpée. Elle une opacité assez faible. Elle perle largement sur les supports lisses. Son spectre bleu n’apporte rien de nouveau à ce que faisait une bonne Corio au méthylène, adjuvant que commercialisait nos pharmaciens pour une poignée de francs et que d’horribles marchands de pigments nous vendent aujourd’hui au prix d’un Chardonnay australien de 2004. En plus, elle n’existe qu’en noir. En un sens, cela évite que nous nous égarions trop en nous compromettant dans l’achat du spectre complet, ainsi que nous serions tenté de le faire dans le cas de la Corio. Comment s’enthousiasmer pour cette encre médiocre vantée pour son spectre bleu. Bien malin celui qui fera tenir un spectre après passage du karscher municipal.

Enfin, et j’en brûle d’impatience, la Jet. Que d’émotion en découvrant enfin cette encre que je connaissais de nom depuis au moins 10 ans, que j’avais vue à disposition des vendeurs dans un magasin de meubles de province, mais que jamais je n’avais réussi à trouver sur Paris – remarquez, je ne l’ai pas non plus cherché tous les jours de ma vie. Elle est chère, très chère même, eu égard à l’utilisation qui en est faite. Mais quelle belle encre. Elle pue, et, à force de respirer ses effluves, elle saoule au sens propre du terme. En plus, quand on la verse, elle a la fâcheuse tendance à baver sur le goulot du bidon. Mais ensuite, quel plaisir. Elle est épaisse, d’un noir opaque à toute épreuve. Elle tient sur toutes les surfaces. En séchant, elle forme comme une couche visqueuse qui colle au support. Au soleil, elle se maintient comme de la peinture. Elle est la meilleure encre que j’ai pu utiliser. Il n’est pas besoin d’y rajouter quoique ce soit, d’autant que le bleu de méthylène n’y est pas soluble. Pour les fans, il existe des produits dérivés vendu en kit : Jet 3000 et Jet 4000. Des sortes de pinceaux caoutchoutés et un marqueur rudimentaire. Je suis impatient d’en connaître l’utilité sauf pour les aficionados de la marque. Bref, la Jet est l’encre qu’il faut, le produit miracle que tout le monde devrait avoir avec soi.

Je conclue en précisant que cette étude est partiale. Il manque notamment des encres dont les modes d’approvisionnement me sont inconnus. Ainsi, la Flowmaster, évoquée par un vandale en puissance devenu GT dans Writerz, et la 666 dont un camarade TRC m’évoquait les qualités vers 1993. Par ailleurs, je me refuse à tester les teinture française et autres ersatz de Corio qu’une sur-dilution dans l’alcool me rendent absconses. Enfin, je n’explore pas les joies des mélanges proposés par les internautes enthousiastes de différents forums Internet, dont je retiens la propension à faire bouillir la Corio pour en enlever l’excès de diluant (faire bouillir un produit inflammable !!!) et à rajouter de l’huile de vidange ou du vernis à ongle. Tagguer suppose un minimum de fierté et si demain je gaspille mon café et l’huile de ma Fiat Tempra pour tartiner du mur, c’est que j’aurais perdu la mienne, en même temps que ma raison.
Ps: le bleu de méthylene n'entre plus dans la composition des préparations pharmaceutiques et, par conséquent, les officines n'en commandent plus.


J'étais donc obligé de lui en demander un peu plus, pour une fois qu'un passionné partait dans des envolées lyriques...


T'as toujours été débrouillard? Du genre à chercher telle couleur, telle marque de spray, telle encre? Bombes, marqueurs, encres, quels étaient tes favoris dans chaque catégorie à l'époque?

Tu es loin du compte. J'ai toujours été un suiveur. J'ai profité de plans existants, défrichés par d'autres. J'ai payé la plupart de mes bombes. J'en ai bien volé quelques-unes pour le style, mais c'est pas mon fond de commerce. J'ai profité d'une bouteille de Coca qu'un LST/TRC avait rempli de Corio. Je me sentais comme un dealer d'huile de shit avec la bouteille dégoulinante. J'étais en internat avec le gars, on a rempli quelques Poscas, et bingo, en faisant les cons, on a renversé le tube d'un 15 sur la table de la salle qui nous servait de salle de travail le soir et de salle des professeurs la journée. De fait, des tonnes de PQ et d'huile de coude et on ne voyait plus trace de la "fameuse" Corio. Pourtant, c'était de l'originelle, de chez Noury, rue de Belleville.

J'ai fait mes premiers tags à la bombe avec de la Altona, volée dans le supermarché morbihannais où mes parents nous emmenaient en vacances. J'ai aimé les Sparvar, qu'on avait récupérées par cartons entiers suite à un plan payé toujours dans le même internat. De cette époque, un tag nettoyé par hydro...reste sur un mur, probablement pour des décénnies. J'ai aimé les Marabu, couleur dense dans un format hors du commun: 600ml en pack blanc. Magnifique. En même temps, j'en ai vidé trois dans ma vie. J'ai adoré les Belton, les couleurs les plus abjectes qui restaient en stock chez un paki du côté de Nation. Mais quelle pression. Un fat énorme. J'ai kiffé la Colorex, ma première vraie encre après les délirants mélanges de peinture + cirage + solvant.

En fait, les trucs les plus aboutis que j'ai fait sont récents. Quelques tags en rue mais surtout des planches de 1x2m que j'ai accroché chez moi. Ca ressemble à du Azyle tendance saturation dégoulinante. C'est là que j'ai vraiment pu prendre le temps de m'amuser avec des encres, les coulures, faire des trucs qui me plaisaient plus que des trucs qui se voyaient. C'est là que j'ai vu la puissance picturale de la Jet, son pouvoir couvrant, la densité de sa pigmentation.

Tu cuisines de manière scientifique ou empirique?

Suite à mon intervention sur le forum, un gars parlait de faire bouillir l'encre pour en enlever le solvant. La même chose était montrée par Sier dans un reportage sur Canal. J'ai tenté et j'ai foutu le feu à ma gazinière. Du reste, encore une fois, de la javel, du PQ et de l'huile de coude, et plus une trace ne subsiste de ce que j'ai pensé être la connerie de l'année, voir plus. Encore de la Corio d'ailleurs. Mais nouvelle génération cette fois. Je ne cuisine plus. Je laisse le solvant s'évaporer naturellement.

Pourquoi tout ce qui est destiné au graffiti est de mauvais qualité? Ca ne devrait pas être le contraire? Quelles sont pour toi les plus grosses arnaques du marché? Et les réussites?

Je n'ai aucune passion pour les graffs. Pour cette discipline, je suppose à ce que je vois que de nombreuses avancées ont permis une évolution du faisable. Pour le tag pur, les bombes restent des bombes. La disparition du plomb rend leur peinture peu pérenne face aux techniques d'effaçage. Les encres, je ne les connais pas toutes. Celles que je connais n'ont rien de merveilleux, tout dépend du support. Les deux évolutions magnifiques sont les produits de sablage du verre, qui du reste n'ont rien de nouveau, et les extincteurs, qui n'ont rien de nouveau non plus. Certains parlent des epoxy mais ça va au dela de ce que je connais. Je n'ai jamais essayé les Grog, Krink, Montana ou Marsh. Le graffiti business m'emmerde, m'afficher dans des bombshops...

L'encre qui m'amuse le plus en ce moment, c'est la peinture diluée. Pouvoir couvrant magnifique, coulure magnifique, sensation de glisse...tu finis ton tag, tu reviens le lendemain et c'est comme une nouvelle pièce. Ca n'a plus rien à voir avec ce que tu avais fait: les coulures partent dans tous les sens. Et avec la peinture, pas besoin de trainer les bombs shops.

J'ai souvent discuté avec des amis d'encres, pendant des heures, à comparer l'encre de untel avec celle d'untel, à débattre de la meilleure et pourquoi...Pour moi la meilleure encre, et j'ai rarement atteint ce point, c'est quand des petites bulles se forment dedans une fois appliquée, mais sans transparence. Tu vois de quoi je parle?

Les petites bulles, j'en ai pas vu beaucoup sauf aux mariages. Plus sérieusement, ce que j'ai plus aimé, c'est de sentir le support qui buvait l'encre. A peine appliqué, tu vois que physiquement, ton truc est en train de prendre dans la matière. Maintenant, je suis plus pragmatique. Le vernis anti-tag est partout, alors ce qui compte, c'est une encre qui ne perle pas et qui présente une teinte vraiment opaque. La peinture est finalement plus performante que l'encre.

Marbre, plastique, bois, chaque matière a ses spécificités et ses adeptes, pour ma part le marbre a toujours été mon support-test favori. Tes préférences?

"Marble is beautiful".
Typiquement le support qui boit l'encre et qui reste marqué longtemps. Mais toujours pareil. Tout en pragmatisme. Quand le tag était partout, j'en comprenais son omniprésence. Aujourd'hui, je cherche les supports les plus discrets, à la manière d'un Seoh. Des tags petits, bien faits, bien placés, sachant qu'en général tu prends des supports variés et par forcément les plus trippants. Mais par contre, tu as le plaisir de voir ton tag survivre plusieurs mois, parfois plusieurs années. Alors le support est devenu secondaire. Une chose que j'ai beaucoup aimée, c'est lorsque ton tag couvre plusieurs plans. Le mur, mais aussi un volet en renfoncement. Une porte cochère et tous ses reliefs. Le mur de pierres avec des séparations entre chaque. Mais ça, il n'y a qu'une chose qui le permette, c'est le fat. Et un fat, à Paris, ça tient une semaine maximum. J'ai du vieillir, mais je cherche les places qui durent et sans trop d'escalade. Avant Tiberi, tu posais, et au moins un sur deux n'était jamais effacé. C'était une belle époque.

Tu dois, forcément, être un intégriste du tag, de la signature exécutée avec vitesse et violence, quelles sont tes favorites et pourquoi?

Rien à voir. Je me suis pris pour une racaille 3 fois dans ma vie. J'ai braqué un Starter parce qu'on m'avait braqué ma Chevignon, j'ai sorti une matraque téléscopique sur un mec qui m'a sorti un flingue et basta. Tagguer, c'est un plaisir esthétique. J'appelle ça un triathlon urbain. Marcher, surveiller et tagger. La violence graphique, c'est pas mon truc. Je cherche de la rondeur et de la coulure. Je veux atteindre un idéal que j'ai en tête. Quand je faisais les rues de Paris avec mon plan de la ville piqué sur le mur de ma chambre, je cherchais le côté dur, hardcore et je ne faisais que des tags de merde. Gros, oui, mais d'autres en faisaient de plus gros et plus aboutis. Maintenant, je fais des tags que j'ai envie de kiffer. Même si je me fais arrêter, j'ai envie que mon tag soit suffisamment bien fait pour que je puisse assumer mentalement une amende. Prendre une amende pour une pure dégradation, un gros tag pourri façon j'ai 13 ans et je vide la bombe de maman, c'est de la merde. Une amende pour un tag que je kiffe, j'assume. Aujourd'hui, je kiffe au moins un tag sur deux. C'est pour moi une bonne stat.

En résumé, qui pourrait sonner comme une intro, j'ai kiffé le tag depuis 1986-1987. J'ai jamais vraiment compris pourquoi j'ai aimé ça, surement parce que c'était la mode, mais par contre, je n'ai jamais vraiment arrêté contrairement à tous mes potes de cette génération. Je n'ai pas connu Stalingrad, j'ai fui l'ambiance graffiti racaille. J'ai vu le carton (après réalisation) des NTM station Anvers vers 1989, j'ai croisé Extaz, Eskiss et d'autres à Croix de Chavaux (Montreuil), j'ai apperçu Dee Nasty.

J'aime tagger comme une passion personnnelle, une ambiance que je me crée, un univers qui m'est personnel. J'ai croisé Earl et Honet, sûrement BDB et d'autres étaient là à l'expo VAD, juillet 2010, mais j'avais rien à leur dire. Ce n'est pas le même univers. Eux ont voué tout ou partie de leur vie à ça, moi pas. J'aime leur démarche, mais comme j'aime la photographie. Certains créent, d'autres admirent. Je suis plus dans la seconde catégorie. Il n'y a pas de honte à être le public. C'est comme la musique. J'ai aucune capacité à faire de la musique et par conte, je danse. J'ai fait en 20 ans autant de tags que BDB en 1. Aujourd'hui, je kiffe Banksy plus que Horphé. Je kiffe Risot, et les mecs qui reproduisent du oldschool comme Moze, Wean, Yeemd. Je m'emmerde profondément des discours des gars qui font du terrain que je croise par ailleurs.

Le graffiti c'est une passion, "My Life Story" comme le tatouage arboré par Seen dans Spray Can Art, mais je me positionne comme spectateur et non comme acteur, et encore moins comme créateur. Quand les mecs ont lancé le quinze Posca, j'en étais au Onyx. Quand j'ai commencé à la Altona, ils étaient au Decap'four sur Belton. Quand j'ai fait du fatcap, ils étaient au flop. Et le flop, c'est trop hardcore, trop de risque. Je reste avec mes petits gueutas. 3 arrestations, que du flag, et zéro conséquence. Je préfère ne pas tenter le diable même si tôt ou tard, je vais bien finir par me faire embarquer pour un pauvre tag. Voilà, ça ressemble presque à de la psychothérapie.

6 commentaires:

  1. "Une chose que j'ai beaucoup aimée, c'est lorsque ton tag couvre plusieurs plans. Le mur, mais aussi un volet en renfoncement. Une porte cochère et tous ses reliefs. Le mur de pierres avec des séparations entre chaque."

    Le tag sur une porte cochere, qui couvre ses reliefs. Celui qui commence sur de la brique et fini sur des parpaings, du bois, une vitre, une fenetre bouchée. Recouvre un appuye-fenetre, une gouttière...
    Celui qui va mélanger l' art architecturale, décoratif ou urbain, à l'art du graffiti.( surotut sur portes cocheres) ca, je kiffe aussi!

    Thomasson

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  2. jolie interview, toute en maturité et recul.
    vraiment pris du plaisir a lire.

    ton libraire preferé

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  3. C'est bien écris, bonne tranche d'histoire.

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  4. Ouais, c'est du bon.

    Ça m'a vraiment fait plaisir de lire (enfin) quelqu'un qui pète pas plus haut que son cul.

    Le graffiti c'est avant tout des milliers de gens qui ont plein d'autres priorités dans la vie, il ne faut pas l'oublier.

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  5. je suis d'accord,le graffiti c'est aussi les miliers de tags pourris quels qu'ils soient.et celui qui les méprise n'a rien compris.il y a de la place pour tout,et heuresement.
    j'adore les graff,mais rien ne vaudra jamais pour moi la spontanéité et le kiff d'un tag à l'arrache.
    texte sympa,qui mériterait de connaitre le blaze de ce "modeste" taggueur
    ReZuM

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  6. Très fraîche cette ITW.

    J'étais plus "Corio M. de chez Noury + bleu de methylène + vernis pastels" mais c'est de la chimie passionnée là...

    Bien joué le puriste

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